Ce livre…
C’est des rencontres, des amitiés, de l’amour, des illusions, des désillusions, des pièces de théâtre, la maladie…
Elle soutenait aussi que l’avenir n’existait pas, une invention des curés pour briser les hommes et les tenir en laisse. Ignorant le temps qui nous restait, on devait faire ce qu’on avait envie de faire au moment où on le voulait, sans rien remettre au lendemain. Si on réfléchissait, si on hésitait, on était foutu. Elle ne conjuguait rien au futur et n’embarrassait personne avec ses angoisses du lendemain.
C’est aussi les juifs en Algérie pendant la seconde guerre mondiale, la peste, la maladie au fil des décennies, la fin de la guerre, l’espoir, la montée du communisme à Prague et en URSS.
Ils savaient que leur destin se jouait, à ce moment précis, là-haut, loin d’Alger, des hommes hurlaient, pleuraient, tremblaient et mouraient, et ils ne pouvaient rien faire de plus que rester ensemble, les uns près des autres, inutiles et vivants.
C’est des idéaux qui ne sont jamais atteints, l’émancipation des femmes, la guerre, encore, la trahison, la peur, le destin, la manipulation, des frontières…
Joseph connaissait la doctrine. Il ne comprenait pas comment il pouvait exister une seule personne sur cette terre meurtrie qui ne soit pas d’accord pour en finir avec l’exploitation éhontée de l’homme par l’homme. Comment pouvait-on ne pas partager ces idées ?
C’est la valse, le tango, la danse, Gardel, la chanson Volver, des barbecues, des recherches scientifiques, de la tristesse, de la joie, des femmes …
Ils sortirent du Santa Lucia en se tenant les uns les autres, en riant aux éclats sans savoir pourquoi, puis se taisant pour allumer une cigarette ou humer l’air frais de la mer, en cette heure grise avant le lever du soleil quand la terre entière est endormie mais pas vous, vous êtes gai et vivant et heureux, un peu ivre aussi et vous êtes puissant, fort et éternel, fatigué bien sûr mais ça n’a aucune importance. La nuit vous a quitté, le jour n’est pas encore venu, vous êtes seul au monde avec de vrais amis qui ne veulent pas rentrer, dormir et vont boire encore une dernière coupe au bar du casino.
Il y en a toujours un qui a des états d’âme : «Moi, je vais me coucher, je bosse demain»
On bosse tous demain.
À demain.
C’est Pavel, Maurice, Christine, Helena, Tereza, Ludvik, Nelly, Ramon…
– Méfie-toi des apparences, Joseph, ce sont souvent les personnes les plus tristes qui ont les plus beaux sourires.
Pendant plus de 500 pages nous suivons la vie de Joseph K, à Prague, à Paris, à Alger.
Si notre héros n’est pas particulièrement attachant au début, il le devient au fur et à mesure du livre. Au début, j’ai suivi son histoire en retrait, avec l’impression de lire un livre d’Histoire plus que l’histoire d’un homme. Et puis, petit à petit, je me suis attachée à lui, j’ai commencé à tourner les pages en appréciant son parcours et sa vie autant que les rappels historiques à laquelle elle est liée.
J’ai aimé suivre le destin de cet homme à qui la vie n’a pas fait que des cadeaux mais qui a su rester fort quelles que soient les épreuves qu’il a dû traverser.
J’ai aimé comprendre ses choix, le voir réaliser ses erreurs, s’adapter à la vie, aux choix des autres, à ce qu’il n’a pas choisi et qu’il subit et à ce qu’il accepte alors qu’il aimerait refuser.
J’ai adoré le style de l’auteur. Magnifique, concis, fluide.
J’ai aimé faire des recherches sur Wikipédia toutes les 50 pages, réapprendre certains faits historiques oubliés depuis quelques années, prendre part à la monté du communisme, aux belles espérances si loin de la finale réalité, regarder une pièce de théâtre en Algérie, avoir de nombreux pincements au cœur, danser sur la terrasse de Padavoni, rencontrer la misère dans un trou paumé, me retrouver à Prague, m’autocensurer, réfléchir avant de penser et de parler de peur que la police politique ne me tombe dessus, me méfier de mes proches qui pourraient être des informateurs et des agents…
Chaque jour, une mauvaise nouvelle. Un voisin ou une connaissance était arrêté. Des enseignants, des ouvriers, des agriculteurs, des fonctionnaires, des gens croisés mille fois. Ils n’avaient pourtant pas l’air de conspirateurs. On se disait : elle, ce n’est pas croyable, lui non plus, ce ne sont pas des agents ennemis, pas eux. Pourtant, ils avouaient leur participation à la machination capitaliste. Derrière le masque de l’innocence se dissimulaient des traîtres diaboliques, ils reconnaissaient leur culpabilité, c’étaient des êtres abjects, ils tentaient d’empêcher le pays de construire le socialisme. On vivait une guerre intérieure. Il fallait les éliminer, purger l’administration et les entreprises, empêcher la propagation de ces idées nocives. Purger pour retrouver un corps sain. Il fallait se méfier. Des autres. De ceux qu’on connaissait depuis toujours, ils cachaient leur jeu, leur appartenance au complot. Il n’y avait plus de confiance possible. En personne. Même les proches étaient suspects. Que pouviez-vous vraiment savoir des activités secrètes et inavouables de votre père, de votre mari ou de votre sœur ? Chacun se mit à contrôler ses paroles. Une réflexion spontanée, un doute naturel, un commentaire pessimiste, une plaisanterie maladroite, et c’était l’accusation et la prison.
… assister à la chute du mur de Berlin, rencontrer un certain révolutionnaire sud américain…
– Je vivrais avec toi n’importe où. Même à Prague si on n’avait pas pu faire autrement. Mais ce sera tellement mieux de vivre dans un monde où il n’y a pas de police politique, où l’on peut faire ce qu’on veut, voyager sans entraves, s’exprimer sans avoir à se surveiller en permanence, à jurer qu’on est heureux quand on crève de peur. C’est vrai, je veux m’en aller parce que je sais que le bonheur, je ne le connaîtrai jamais ici.
J’ai aimé me lier à Joseph et, à travers lui, voyager, aimer, perdre, continuer de vivre, d’espérer et apprendre le respect.
Quoi qu’elle ait fait, personne n’a le droit de la juger. Il y en a marre des juges. Des gens qui vous condamnent sans vous connaître. Au soir de ma vie, je peux dire simplement que si c’était à refaire, je recommencerais sans hésiter.
Finalement, lire cette histoire aura aussi été toute une aventure pour moi.
J’ai commencé ce livre sans vraiment rentrer dedans, presque en m’ennuyant, entre Prague et Paris.
Puis j’ai commencé à m’attacher à Joseph lors de son passage à Alger et j’ai eu beaucoup de plaisir à le suivre dans la seconde partie du livre.
Mais c’est finalement le dernier tiers qui m’a le plus conquise. J’ai dévoré cette dernière partie où le titre du livre prend tout son sens, je l’ai lue en apnée, j’ai eu les larmes aux yeux, j’ai été scié par les dernières révélations, et c’est avec une pointe de nostalgie que j’ai refermé ce livre qui a été, dans sa totalité, un très bon moment.
La vie rêvée d'Ernesto G - Jean Michel Guenassia
Editions Albin Michel - 544 pages.
Je vous invite à lire l’avis de Sandrine qui a vécu ce livre de la même manière que moi, et celui de Yueyin pour qui ça a été un énorme coup de cœur.