- J'ai peur, on ne va jamais y arriver.
- Mais si, tiens, regarde ce que nous avons déjà monté. Tu t'en sors très bien, on a déjà fait la moitié.
- Je les entends arriver, je suis sûre qu'ils vont nous rattraper et qu'ils vont nous séparer.
- Alors dépêche-toi, on y est presque.
- Je suis las, Daniel. Je suis fatiguée, je suis en nage, j'ai peur. J'ai peur de ce que nous allons faire, j'ai peur de mourir, même si c'est avec toi, même si c'est pour être près de toi pour l'éternité. J'en veux à la vie et à nos familles qui ne nous comprennent pas. Je t'en veux de m'avoir fait connaître l'amour, de m'avoir fait entrevoir le bonheur.
J'en veux au destin de m'avoir fait naître blanche et de t'avoir fait noir, d'être née dans une famille riche et de t'avoir fait simple enfant de domestique.
- Tu peux encore changer d'avis, Julie. Tu sais que je préférais que tu vives. Moi, je ne peux tout simplement pas me résoudre à vivre séparé de toi et envoyé en prison pour avoir osé espérer l'amour d'une blanche. Je veux mourir avec ce dont on m'a privé depuis ma naissance, je veux mourir avec respect. Je veux accomplir un acte qui ne me sera dicté par personne sauf par moi. Si je ne peux pas vivre comme je le veux, si une différence de couleur et un amour pur doivent faire de moi un criminel, alors je veux au moins pouvoir mourir dignement. Julie, mon amour, je te l'ai dis, tu pourras être heureuse, j'en suis sur, mais moi je suis condamné à voir la haine et le mépris dans le regard des autres toute ma vie, et après avoir vu de l'amour dans le tien, ce sera pire que la mort.
Mais toi, ma Julie... Toi tu peux vivre, tu peux même te battre pour changer les choses. Tu peux...
Ils arrivent, Julie, vite, il est temps de choisir. Il ne nous reste qu'un étage et nous serons en haut de la tour.
- C'est sur ce toit que nous nous sommes aimés la première fois, tu te souviens ?
- Comment pourrais-je oublier ?
- Et moi ? Comment pourrais-je t'oublier si je te survis ? Comment oses-tu même penser que je serais heureuse sans toi ?
Photo de Romaric Cazaux
Et merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.
(Si ce petit texte est fictif, sur le fond, ce n'est malheureusement pas un poisson d'avril, on est en 2013 et le racisme est encore bien présent.)