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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 08:19

 

route

- Reste cachée dans les champs, Ava. 

- Et toi, dépêche-toi. Tu es sûr que c'est la bonne heure pour se montrer ? Et si on nous repère ? 

- Ecoute, ça fait 5 jours que nous marchons dans ses champs, 5 jours que le moindre bruit nous fait peur, 5 jours que nous avons quitté cet homme avec ses intructions et 5 jours que nous sommes encore en vie. Maintenant, cette ferme là-bas est probablement celle dont l'homme nous a parlé, et il n'y a qu'un seul moyen de le savoir et c'est de vérifier si le poteau à l'angle de la route a un signe. Franchement, si je me fais prendre ici, c'est que c'était mon destin. J'ai échappé à la mort déjà 3 fois alors que je n'ai que 18 ans. Peut-être que c'est trop. Mais je ne crois pas. Si je suis arrivé à m'enfuir de ce train, puis alors qu'on m'a retrouvé, si je n'ai pas été fusillé sur place, que j'ai finalement survécu à ce camps et que je suis encore arrivé à m'enfuir, vraiment, je serais déçu que la Mort choisisse de me prendre ici alors qu'à 500 mètres de nous se trouve peut-être notre liberté. 

- Je sais que tu parles pour me distraire Daniel. 

- Ca marche ? 

- Pas vraiment. Tais-toi, inspecte les poteaux, et dépêche-toi de revenir près de moi. 
Mais qu'est-ce qui te prend autant de temps Daniel ? Dépêche-toi, j'entends des bruits !  

- Oh mon dieu, il est là, Ava ! Le dessin de la colombe ! Oh mon dieu Ava, je n'y crois pas. C'est cette ferme. Ce sont ces montagnes que l'on va traverser. La Suisse. Tu vois là-bas ? C'est la Suisse. Libre ! Bientôt nous serons li...
Ava ? Ava, mon ange, ne pleure pas. Ne craque pas maintenant. Tu es la plus forte de nous deux, c'est pas le moment de craquer hein, j'ai besoin que tu sois forte.

- Et si ce n'est pas ça? Et si c'est un piège ? Et si on nous a manipulé ? Et si on est arrivé à s'enfuir pour rien ? Et si dieu m'a mis à travers de ton chemin puis de cette famille pour finalement nous écraser encore plus ? Je n'en peux plus Daniel, je ne pensais même pas que je pourrais un jour ressentir encore de l'espoir, et voilà que je te rencontre et que je me surprends à rire et à espérer. 
Quand j'étais là-bas, jamais je n'aurais pu espérer ressentir de telles émotions encore une fois dans ma vie. Et là.... Là tu me dis qu'à 500 mètres se trouve peut-être quelqu'un qui va nous aider à passer la frontière, et voilà que j'espère de nouveau et j'ai l'impression que c'est mal. J'ai l'impression que je n'ai pas le droit d'espérer, que ce n'est pas un sentiment que nous, les juifs, avons le droit de ressentir. Et je m'en veux aussi. J'ai mangé, j'ai bu, alors que des milliers d'autres sont en train de mourir de faim. Alors que mes soeurs et mes parents sont morts. Jamais plus ils ne riront ou n'espèreront. Et moi ? Et moi, je rencontre un garçon, j'en tombe amoureuse, je ris, je mange et je vais peut-être m'en sortir. J'ai honte Daniel. J'ai honte d'aimer ma liberté plus que les autres. J'ai honte de ne pas ressentir de honte quand tu me fais rire et que tu m'aimes. Et j'ai honte de ressentir du plaisir. Mon dieu, voilà que je divague. Ca y est, j'ai 17 ans et je suis folle. Hitler aura vraiment gagné hein. Même si on s'en sort, on ne sera jamais les mêmes. On sera toujours marqués. 

- Ava, regarde-moi. On a assez souffert pour des centaines d'années. Si on s'en sort aujourd'hui, on sera heureux, je t'en donne ma parole. Allons-y maintenant. Ca ne sert à rien de discuter, et encore moins de pleurer. 

- Attends, laisse-moi prier. Laisse-moi au moins faire le shéma

- Je ne comprends pas que tu veuilles encore prier ce dieu. 

- Je suis sûre que c'est grâce à lui que nous sommes ici.

- Tu es sûre que c'est grâce à lui que nous sommes ici ? Tu plaisantes j'espère ? C'est grâce à lui que nous avons été déporté oui. C'est car nous avons cru en lui, que nos parents, nos frères et soeurs et nos amis sont morts. C'est de sa faute Ava, pas de la notre. C'est car nous sommes juifs que nous avons un numéro tatoué à vie sur notre bras, que nous sommes si maigres et si faibles que nous mettons 5 jours à parcourir une distance qui nous aurait pris 4 heures il y a un an. 
Grâce à lui ? Vraiment ? Non Ava, moi je refuse de le remercier pour quoi que ce soit. Où était-il quand nous l'avons prié de nous épargner ? Où était-il quand je l'ai supplié d'épargner mon petit frère quand un soldat à pointer un fusil sur sa tête hein ? Où ??? Réponds-moi ! Où était-il, ton dieu, à ce moment là ?

- Calme-toi, Daniel tu me fais mal à me secouer comme ça. S'il te plait.
Ecoute n'en parlons plus. Tu as perdu la foi, la mienne s'est renforcée. C'est comme ça. Mais ce n'est pas ce qui compte. Traversons une dernière fois ce champ. Allons à cette ferme. Allons rencontrer notre destin.

- Tu as raison. Comme toujours. Excuse-moi.

- Tu as la pillule que le monsieur nous a donnée ? 

- Oui. Et toi ? 

- Oui je la garde dans ma main. Si jamais ce sont des soldats, je serai morte avant qu'ils ne nous ramènent à un camps.
Plus jamais. 

- Non. Plus jamais. Je t'aime Ava. 

- Je t'aime Daniel.  

 

Photo de Romaric Cazaux
Merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.
 

 

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10 juin 2013 1 10 /06 /juin /2013 09:55

 

banc

 

 

Déjà à la moitié de mon livre.

J'ai du mal à y croire.

Et dire qu'il y a encore un an je ne savais pas lire. Ou à peine.

Dire qu'il y a un an,  il me fallait 20 minutes pour lire les premiers plats d'une carte quand je pouvais me permettre d'aller au bistro. 

Je me revois en train de me concentrer pour déchiffrer une ligne. Toujours celle que je commandais. Même si je n'aimais pas ça. Tout pour ne pas perdre encore du temps à déchiffrer un autre plat.

Et le métro. Heureusement que maintenant ils annoncent les stations à voix haute. Il y a 20 ans je devais tout faire à pied.

Quelques part ça me manque.

Et cette hantise que j'avais quand le guichet était fermé et que je devais utiliser la machine pour acheter mes tickets. Ce que je ne faisais bien sûr jamais. Je me serais fait ruer de coups par les gens derrière. Ah oui c'est facile d'être pressé quand on sait lire hein.

Aujourd'hui je sais l'utiliser. Je mets d’ailleurs un point d'honneur à le faire à chaque fois. Mais je suis content que les machines n'aient pas encore totalement remplacées les hommes. Ne serait-ce que pour toutes ces personnes qui ne savent pas lire. Et elles sont nombreuses. Trop nombreuses.

Je me revois sur ce banc à imaginer la vie des gens qui traversaient le pont en face, tandis qu'elle était assise sur le banc d'a côté. Elle lisait et pleurait.

Je lui ai demandé si ça allait et elle m'a répondu que oui oui mais qu'elle en était à un passage triste. J'ai mis quelques secondes à comprendre qu'elle pleurait à cause du livre. J'ai ri. D'un petit rire sans joie. Pleurer en lisant. Voilà bien quelque chose d’inconcevable pour moi. Elle a remarqué mon étonnement et m'a demandé si je n'avais jamais pleuré à la lecture d'un livre? Non. Jamais ri non plus ? Non. Jamais hurlé de frustration à la fin d'un livre qui se finissait en cliffhanger ? En Cliff quoi? Elle a sourit mais j’ai bien vu que cette fois, c’était elle qui était étonnée et qui trouvait ça inconcevable. Elle m'a dit qu'elle lisait au moins 2 livres par semaine et qu'à chaque fois elle était transportée, qu'à chaque fois elle vivait une autre vie, une autre histoire, qu'elle était amoureuse de dizaine de personnages, qu'elle en détestait tout autant. Puis elle m'a parlé du livre actuel qu’elle lisait, pour la 6ème fois au moins, l'histoire d'un homme emprisonné dans un cachot pour un acte qu’il n’avait pas commis et qui s'évade et se venge. Comment ça je ne connaissais pas Edmond Dantes, mais c'est impossible, tout le monde connaît le comte de Monte Cristo, j'avais dû au moins voir le film non? Et elle continuait, elle parlait, elle parlait et moi je ne pouvais rien faire d'autre que d'écouter. Quelle passion ! Quel enthousiasme ! Oui je l'ai envié.

Je crois même que jamais je n'ai autant regretté de ne pas savoir lire qu'en écoutant cette jeune fille passionnée. 

Et puis une chose en entraînant une autre je me suis retrouvé à lui parler de ma vie. Je lui ai tout raconté pendant ce qui m'a semblé des heures.

Je lui ai parlé de mon enfance et je lui ai avoué mon handicap. Je lui ai parlé de la honte aussi. Oui surtout de la honte.

Je lui ai parlé de ces relations qui n'aboutissaient jamais. Ces femmes avec qui j’avais cru que, peut-être…
Au début je les amenais se balader dans ces coins paradisiaques et inconnus de Paris que seul celui qui fait tout à pied connaît, on marchait, on apprenait à s’apprécier, on riait, et de temps en temps on allait voir des films au cinéma. Parfois, souvent même, on allait chez moi ou chez elles. Je leur parlais de ces maisons que je rénovais et puis, après quelques temps, quand j'étais suffisamment en confiance je leur disais. A chaque fois j’espérais. A chaque fois, je voulais y croire. Cette fois, ça serait différent. Mais non. Les réactions étaient toujours les mêmes. Le mépris pour certaines, la pitié pour d'autres. Cette dernière émotion était encore pire que la première. Si bien que je n'ai jamais eu de relations durables. Je tirais mes coups et je disparaissais.

Il faut croire que le reste de ma personnalité ne faisait pas le poids face à mon handicap.

J'étais tellement pris dans mon récit que je n'ai pas remarqué que la jeune fille pleurait jusqu’à ce que je l'entende renifler.

Je me souviens avoir tenté une blague maladroite en lui demandant pourquoi elle pleurait alors qu’elle n’était pas en train de lire. Elle m'a sourit d'un sourire timide tout en essuyant ses larmes et en me demandant pourquoi je n'avais pas pris de cours. Je lui ai demandé comment j'aurais eu connaissance de tels cours, en tapant sur Internet ? Mon ton était plus dur que je ne le voulais mais je ne me suis pas excusé et le silence s'est installé.

Jusqu'à ce qu'elle le brise, quelques minutes plus tard, avec cette phrase qui a changé ma vie "et bien il n'est jamais trop tard. Je vous promets qu'un jour vous aussi vous pleurerez en lisant un livre".

Je n'y croyais pas. Ce n'était pas la première à me faire une telle promesse puis à laisser tomber car elle avait mieux à faire. Mais comment aurai-je pu la contredire ? Elle avait dit ça avec toute la conviction de son âge.

Les semaines ont passées et elle a tenu sa promesse. Mon ange gardien, ma fée, la fille que je n'ai jamais eue.

Deux après-midi par semaine, je rénovais son appartement gratuitement pendant qu'elle lisait et me parlait des livres qu'elle avait lus.  Puis elle m'apprenait à lire, à déchiffrer. Petit à petit j'ai mis moins de temps à lire les mots, moins de temps à lire les phrases, jusqu'à ce que je puisse lire des paragraphes entiers et en comprendre leurs sens dès la première lecture.

Et puis quand il nous restait encore du temps je lui parlais de ma vie, de mon passé. Je lui expliquais pourquoi j'ai dû arrêter les cours au CM2, comment j'ai survécu, ce que j'ai fait. Je parlais, parlais, parlais et elle notait. Elle tapait vite sur son ordinateur sans jamais regarder les touches.

 

Et me voilà. Un an plus tard. Sur ce banc où ma vie a basculée.
Je ne lis pas vite. Ca ne sera sûrement jamais le cas. Mais ce n’est pas grave. Au moins, je lis.

Et aujourd’hui, je tiens le livre de ma vie dans les mains. Mon livre. Mon histoire. Et je pleure. Je pleure de gratitude et d'émotions. Je ne peux toujours pas m'acheter de beaux vêtements ou vivre dans un quartier huppé, mais je suis incontestablement plus riche.  

Je lis et je pleure. Et c'est merveilleux.

 



Photo de Romaric Cazaux
Merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.


 

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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 06:00

 

rue

 

- Qu’est ce que tu crois qu’il attend comme ça ?
- Il attend de voir quel genre de femme pourrait vouloir acheter une robe si horrible.
- T’es con. Non sérieusement tu crois qu’il attend quoi ?
-  Je suis sérieu, cette robe est horrible.
- Peut-être qu’il attend une femme qu’il a croisée par hasard dans cette rue, qu’il est tombé immédiatement amoureux et qu’il espère la recroiser?
- J’hésite à l’offrir à ta mère pour notre mariage tiens.
- (pouffant) T’es vraiment con.
- Je suis sérieux, elle lui irait à ravir. Ta mère est aussi douce et gonflante qu’une meringue, ce serait une belle métaphore que de la lui offrir non ?
- Ou bien il est serveur et elle s’est installée à une table de son café, et au moment de lui donner l’adition il lui a laissé un mot avec ce rendez-vous ?
- Tu crois que la créatrice de la robe était sous drogue ?
- C’est peut-être un créateur…
- Aucune chance non. T’as vu la robe ? Aucun homme aimerait voir une femme porter ça, crois-moi.
- Il a l’air anxieux non, avec son chapeau baissé comme ça ?
- Ou peut-être qu’elle a lu trop de conte de fée dans son enfance ?
- Oh mon dieu, tu crois qu’elle lui a posé un lapin ?
- Comment veux-tu que je le saches ?
- Le pauvre ! Mais pourquoi elle lui poserait un lapin ? Il a l’air adorable pourtant. Et il est mignon en plus. Non il doit-être en avance c’est sûr. 
Quoi que. Il pourrait au moins l’attendre debout s’il est en avance. Merde quoi, et si c’est la femme de sa vie ! Il croit peut-être qu’elle ne mérite pas un peu d’effort ?
- Ben en même temps s’il est en avance d’une demi-heure, autant qu’il attende assis c’est moins fatiguant.
- Et si elle arrive en avance aussi hein ? et qu’elle le voit assis comme ça, l’air je-m’en-foutiste, genre « t’es pas assez importante pour que je daigne t’attendre debout » ? Non mais il se prend pour qui franchement ? J’espère qu’elle va le planter tiens. Ca lui fera les pieds.
- Je comprends pas pourquoi tu t’énerves là. On sait même pas ce qu’il attend. Pour ce qu’on en sait, il pourrait tout aussi bien être gay et attendre un mec.
- D’abord, je ne m’énerve pas. Et en plus je trouve juste qu’il est irrespectueux vis-à-vis d’elle. Voilà. Laisse moi te dire que si tu m’avais attendu comme ça à notre premier rendez-vous, je ne t’aurais pas laissé la moindre chance.
- En même temps c’est toi qui m’a dragué et je n’ai pas eu à attendre longtemps avant de coucher avec toi. Tu ne m’as pas laissé debout très longtemps si mes souvenirs sont bons.
- Ah ça. J’ai tout de suite su que tu ne serais pas capable de le faire debout.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Rien. Juste que je ne pense pas que tu pourrais me porter assez longtemps pour me faire l’amour debout c’est tout.
- Excuse-moi, mais tu n’es pas ce qu’on peut appeler un poids plume non plus hein.
- Tu insinues que je suis grosse ?
- Non tu es parfaite mais je ne tiens pas spécialement à avoir un lambago, c’est tout.
- Mais t’es vraiment un enfoiré !
- Calme-toi. Tu viens de me dire que je suis pas assez fort et je n’en fais pas toute une histoire moi.
- Tu sais quoi ? Et bien si je suis trop grosse tu n’as qu’à te trouver une autre femme à épouser tiens.
- (éclate de rire), j’adore quand tu t’emballes et que tu sors des trucs complètement débiles et extrêmes comme ça. En même temps peut-être que la fille va vraiment arriver, qu’elle va tourner la tête, me voir et tomber amoureuse de moi même si je suis pas fort. Et comme elle est sûrement hyper mince, je risquerais aussi de tomber immédiatement amoureux. On achèterait l’horrible robe, on prendrait le premier avion pour Vegas, et on se marierait.
- Elle est peut-être mince, mais je suis sûre qu’elle est moche et qu’elle a des dents horribles.
- Ah oui mais bon je m’en fous. Tu sais, moi, tant qu’elle est mince hein…
- Bon d’accord. Je me suis peut-être un peu emportée pour rien.
- Hun hun.
- Mais…
- Mais rien. Tu sais quoi ? Allons lui demander ce qu’il attend et on sera fixé. Viens.

 

- Bonjour Monsieur, désolés de vous déranger mais depuis toute à l’heure mon adorable femme se demande ce que vous attendez. Est-ce que ce serait trop indiscret de vous demander d’assouvir sa curiosité ?
- Vous parlez de moi depuis toute à l’heure ?
- Oui…
-  Et bien je n’attends rien. Je me suis assis ici pour refaire mes lacets et quand j’ai levé la tête je vous ai vu sur le trottoir d’en face. Je vous ai regardé discuter, puis vous avez pris un air un peu dégoûté en regardant l’horrible robe de la vitrine tandis que votre femme avait un air rêveur. Et puis tout à coup elle a commencé à s’énerver, et vous avez ri. Bref, je suis resté assis à vous regarder en imaginant de quoi vous pouviez bien discuter… 

 

Photo de Romaric Cazaux
Merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.


 

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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 08:00

 

statue.jpg

 

 

Aujourd’hui ça fait 300 ans que je suis transformé en statue.
Quand je vois tous ces gens qui me regardent avec émerveillement sans savoir qui je suis, j’éprouve une fois de plus une grande lassitude.

Parmi ces ruines grecques, ils m’imaginent tantôt empereur, tantôt conquérant, mais toujours un passé glorieux. Ils pensent que cette statue a été créée par je ne sais quel despote narcissique qui voulait s’admirer à loisir. Quelle ironie.

Je les sens plus que je ne les vois s’extasier devant ma beauté, devant mon nez droit sans défaut, mon profil royal, mes muscles saillants et mes cheveux épais…

Certaines femmes reluquent mon sexe plus de temps que nécessaire. Je les comprends. Il est impressionnant et je dis ça sans arrogance. C’est un fait. Je les entends glousser et se demander si j’étais un bon amant !

Bon amant ? Quel euphémisme ! Si elles savaient... J’étais le meilleur. Le plus beau, le plus fougueux, le plus intrépide des amants. Toutes les femmes voulaient savoir si j’étais à la hauteur de ma réputation, chacune espérait qu’elle serait celle qui ferait battre mon cœur, celle qui éclipserait toutes les autres.
Quelles sottes. Les femmes n’ont pas changé. Je le vois dans les yeux de celles qui me contemplent. Toujours à vouloir ce qui leur est inaccessible.

Oui, la gloire je l’ai eu. Mais pas grâce à un statut royal ou des trophées de guerre.
La gloire, c’était ma réputation, c’était ces centaines de femmes comblées que je laissais sur leur lit, alanguies et rêveuses après leur avoir donné le plus grand plaisir qu’elles aient connu. Je les laissais là sachant que le soir même, quand elles partageraient le lit de leur mari, c’est à moi qu’elles penseraient, se demandant si j’avais été réel, si elles n’avaient pas tout imaginé mais essayant déjà de trouver n’importe quel moyen de me revoir.
Mais elles savaient au fond d'elles que c’était peine perdue. Jamais je ne prenais deux fois la même femme, et je me souvenais de l’odeur, du goût et du physique de chacune d’elles. Elles pouvaient changer de couleur de cheveux ou d’habits autant qu’elles le souhaitaient, je les reconnaissais toujours.
Jamais je n’ai voulu revoir une seule de ces femmes. Sauf une. La dernière. L’erreur.
La seule femme que j’ai voulu revoir s’est trouvée être l’unique qui n’en avait pas envie. Quelle ironie.

Elle était la seule qui n’ait pas eu de plaisir et elle constituait un défi pour moi. Je me disais qu’elle avait eu trop mal pour sa première fois, pour vraiment prendre du plaisir. Quel orgueil ! Il m’était impossible d’accepter que j’avais laissé une femme insatisfaite. Il fallait que je la revoie, que je lui donne du plaisir, qu’elle hurle mon nom, me griffe le dos et tombe amoureuse de moi. Comme les autres.
Je me souviens d’elle comme si c’était hier et non il y a 3 siècles.
Je revois sa beauté, ses cheveux noirs qui cascadaient en boucles sur ses épaules, sa peau si blanche et si pure, sans défauts, ses yeux si sombres que l’on avait du mal à en distinguer les pupilles. Et cet éclat d’intelligence que j’y avais décelé… Si j’avais su…

Mais je ne savais pas non.

A quoi bon me mentir maintenant ? Cela fait si longtemps. Si j’ai voulu la revoir c’est que déjà je l’aimais, et pas seulement car je la prenais comme un défi. Après une nuit dans ses bras, j’étais devenu comme toutes ces femmes que je méprisais pour leurs obsessions et leurs supplications. Après une nuit, je n’avais plus qu’une pensée en tête. Elle. Et la revoir.  
Ah ça, pour la revoir, je l’ai revue. Je me suis rabaissé. Je l’ai supplié. Comme toutes ces femmes que j’avais si longtemps méprisées.
Puis je l’ai aperçu, cette lueur dans ses yeux que je pensais être de l’intelligence mais qui n’était en fait que du mépris. Je l’ai vu, je l’ai reconnu et je n’ai pas pu l’accepter. Personne ne pouvait me regarder comme ça, comme si je ne valais rien et que j’étais dénué de fierté. Oh non, je n’avais pas enfin accordé mon cœur à quelqu’un pour qu’il le piétine.
Et si je devais vivre sans elle, alors elle ne vivrait tout simplement pas. Alors je l’ai tué. Malheureusement, pas assez vite.
Pas avant qu’elle ne récite une prière silencieuse entre ses lèvres et que je me retrouve transformé en statue.


Merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.

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8 avril 2013 1 08 /04 /avril /2013 08:00

 

 

 

poupee-russe

 

- Pourquoi ce magasin spécifiquement?

- C’est une longue histoire ma chérie.

- J’ai tout mon temps. On a voyagé pendant deux jours, pris l’avion, pris le train, pris le taxi pour que tu puisses déposer cette brosse à cheveux dans ce magasin alors qu’on ne la voit même pas parmi toutes ces poupées russes.

- Au contraire, on ne voit qu’elle. C’est ici qu’est sa place. C’est là précisément que je l’ai vu la première fois.

- Maman, tu as plus de 80 ans maintenant, tu sais que je t’aime et je ne t’ai jamais demandé de justifier tes choix ou tes périodes de silence où rien ne pouvait t’atteindre, pas même nous. Mais je crois que j’ai le droit de savoir maintenant. Je me doutes que cette brosse a un lien avec ce que tu as vécu mais je n’ai jamais compris pourquoi je ne pouvais pas m’ en approcher ni pourquoi tes yeux s’emplissaient de larmes chaque fois que tu posais les yeux dessus. Maintenant je pense qu’il est temps de me raconter tout ça. S’il te plait.

- J’avais 6 ans quand je me suis retrouvée devant ce magasin. Nous n’étions pas riches, mais nous étions heureux. C’était la fin des vacances d’été et Adam, mon grand frère, nous quittait le lendemain pour aller finir ses études dans une université de la capitale et il voulait me faire plaisir et m’offrir un cadeau, à moi, sa petite sœur chérie arrivée par accident et qu’il ne connaissait que peu vu qu’il avait quitté la maison quelques années auparavant.
On se baladait, il me tenait par la main, il faisait beau et il m’avait offert une glace. On riait et il me taquinait sur les garçons de ma classe… On était heureux. J’étais heureuse en tout cas. On s’est arrêté d’un commun accord devant ce magasin. Il regardait les poupées russes mais moi je ne voyais qu’elle. Cette brosse. Elle était seule, perdue parmi toutes ces poupées. Plus simple qu’elles aussi. Plus sobre. Je la voulais. C’était un sentiment fort. Bien plus qu’un caprice. Il me la fallait. Je l’aimais déjà plus que tout ce qui m’était cher. Plus que mes livres de valeur que je savais à peine lire. Plus que mon nouveau cartable et mes jolies robes. Cette brosse… Je ne sais même pas comment expliquer mon attirance pour ce petit objet que personne ne voyait vu qu’elle se fondait dans un décor de couleurs et de multitude.
Adam a été surpris de mon choix mais n’a pas hésité une seconde avant de me l’acheter. Si tu savais le sentiment que j’ai ressenti quand il me l’a tendu ! Il a voulu la mettre dans un sac, mais je n’ai pas voulu. Je l’ai mise dans la poche intérieure de mon manteau, pour pouvoir la sentir, pour être plus proche d’elle, pour ne l’avoir qu’à moi et ne la partager avec personne.
C’est cette nuit là que les agents de Staline sont venus nous chercher pour nous amener vers ses trains. C’est cette nuit là qu’Adam s’est fait fusiller sur le quai car il voulu protester quand on nous a séparé. C’est cette nuit là que ma vie a bousculé.
J’avais si froid avec mon manteau d’été. La glace que nous avions partagée l’après midi me semblait déjà un lointain rêve.
On nous avait fait partir avec tant de précipitation que je n’avais pensé à prendre aucun objet de valeur. Heureusement que ma mère avait pu cacher quelques bijoux dans son manteau.
Dans le mien, il n’y avait qu’une chose. Cette brosse.
Cette brosse, Nadia, je ne m’en suis jamais séparée. J’ai vécu 15 ans dans des camps de travail en Sibérie, et je sais que sans elle, je n’aurais pas survécu.
Cette brosse, c’était mon frère, c’était des souvenirs heureux, c’était l’espoir, c’était la vie. Parmi le froid, parmi la cruauté, parmi la faim, la peur et la tristesse, cette brosse, c’était le rappel qu’il y avait autre chose. Qu’il y avait le soleil, qu’il y avait l’amour, qu’il y avait des glaces et des rires.
Cette brosse, je lui dois la vie. Et surtout, je lui dois les moments de bonheur que j’ai vécu après. Ton père, toi et ton frère, vos rires, manger à ne plus en pouvoir, se baigner, sentir le soleil sur sa peau, tes enfants…
Et comme elle a été un rappel du Bonheur quand j’étais en enfer, elle a été un rappel du Malheur après coup, quand ma vie était tellement belle que ma conscience voulait me faire oublier…

 - Et maintenant, tu as décidé d’accepter d’oublier ?

- Non, aujourd’hui il est juste temps qu’elle fasse le bonheur de quelqu’un d’autre. 

 

Photo de Romaric Cazaux
Et merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.


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1 avril 2013 1 01 /04 /avril /2013 08:00

3863100 orig  

 

 

- J'ai peur, on ne va jamais y arriver.

- Mais si, tiens, regarde ce que nous avons déjà monté. Tu t'en sors très bien, on a déjà fait la moitié.

- Je les entends arriver, je suis sûre qu'ils vont nous rattraper et qu'ils vont nous séparer.

- Alors dépêche-toi, on y est presque.

- Je suis las, Daniel. Je suis fatiguée, je suis en nage, j'ai peur. J'ai peur de ce que nous allons faire, j'ai peur de mourir, même si c'est avec toi, même si c'est pour être près de toi pour l'éternité. J'en veux à la vie et à nos familles qui ne nous comprennent pas. Je t'en veux de m'avoir fait connaître l'amour, de m'avoir fait entrevoir le bonheur.

J'en veux au destin de m'avoir fait naître blanche et de t'avoir fait noir, d'être née dans une famille riche et de t'avoir fait simple enfant de domestique.

- Tu peux encore changer d'avis, Julie. Tu sais que je préférais que tu vives. Moi, je ne peux tout simplement pas me résoudre à vivre séparé de toi et envoyé en prison pour avoir osé espérer l'amour d'une blanche. Je veux mourir avec ce dont on m'a privé depuis ma naissance, je veux mourir avec respect. Je veux accomplir un acte qui ne me sera dicté par personne sauf par moi. Si je ne peux pas vivre comme je le veux, si une différence de couleur et un amour pur doivent faire de moi un criminel, alors je veux au moins pouvoir mourir dignement. Julie, mon amour, je te l'ai dis, tu pourras être heureuse, j'en suis sur, mais moi je suis condamné à voir la haine et le mépris dans le regard des autres toute ma vie, et après avoir vu de l'amour dans le tien, ce sera pire que la mort.

Mais toi, ma Julie... Toi tu peux vivre, tu peux même te battre pour changer les choses. Tu peux...

Ils arrivent, Julie, vite, il est temps de choisir. Il ne nous reste qu'un étage et nous serons en haut de la tour.

- C'est sur ce toit que nous nous sommes aimés la première fois, tu te souviens ?

- Comment pourrais-je oublier ?

- Et moi ? Comment pourrais-je t'oublier si je te survis ? Comment oses-tu même penser que je serais heureuse sans toi ?

 

 

Photo de Romaric Cazaux
Et merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture.

 

 

(Si ce petit texte est fictif, sur le fond, ce n'est malheureusement pas un poisson d'avril, on est en 2013 et le racisme est encore bien présent.)

 

 

 

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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 00:00

 

Il y a longtemps que je voulais participer à l'atelier d'écriture de Leiloona de Bricabook mais c'est aujourd'hui que je me décide (enfin!) à me lancer dans ce rendez-vous. 
Le principe est simple : Leiloona publie chaque semaine une photo qui sert de base pour notre texte que nous avons environ une semaine pour écrire. "Aucun genre, ni ton imposés. Seul le plaisir d'écrire. Encore et toujours".

 

Voici donc la photo à l'honneur cette semaine, et en dessous le texte qu'elle m'a inspiré. 

 

nuages 
 

Alors c’est vrai, ce qu’on raconte, me dis-je. On voit vraiment la lumière qui nous guide vers le ciel quand on meurt.

Quand je vois ça, je me dis que je n’ai plus de crainte à avoir. 
Ce qui m’attend ne peut-être qu’à l’image de cette vue qui s’offre à moi, non ?
Lumière parmi les ombres, simplicité dans le chaos. Pureté, beauté, profondeur. 

Je fixe ce paysage pendant ce qui me semble à la fois des heures et des secondes et je m’interroge : quel rai de lumière dois-je emprunter pour suivre ce dernier chemin ?
Celui de droite, qui me semble plus long que celui en face de moi ? 
Ont-ils d’ailleurs des longueurs différentes ou est-ce simplement une impression ? 
J’ose me dire que ce n’est pas une impression et que la logique et la physique n’ont plus de mises désormais.

J’ose me dire que j’ai encore le choix. 

Le choix de me promener et de prendre le temps de traverser ce nuage qui ressemble à une baleine plutôt que celui qui ne ressemble à rien d’autre qu’un nuage. 

Le choix de passer par ce dégradé de bleu plutôt que de suivre cet autre chemin sans nuances. 

Oui, c’est décidé, je choisirai la lumière de droite. 
Je veux pouvoir faire cet ultime voyage à l’image de ma vie et passer par une multitude de couleur, de choix, d’ombres et de rêves. 

Car je le sais maintenant, je le vois de mes propres yeux, la destination finale de ma mort sera la même que celle de ma vie : lumineuse.






Photo de Romaric Cazaux
Et merci encore à Leiloona de nous proposer ses ateliers d'écriture


 

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- John Green est un génie...

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